Wolf et Retour en terre de Jim Harrison ont été publiés ensemble dans un “Big Book” collector par les Éditions 10-18. Wolf, premier roman de Jim Harrison, est une belle introduction à son œuvre. Quant à Retour en terre, c’est un roman émouvant qui appelle à la réflexion.
Wolf – Jim Harrison
Jim Harrison écrit son premier roman Wolf -Mémoires fictifs en 1970 (publié en 1971), à 33 ans. Il était parti à la chasse sur les rives de la Manishee River dans le Michigan. Hélas, il est victime d’une mauvaise chute qui entraîne une immobilisation pour plusieurs mois. C’est alors qu’il entreprend l’écriture d’un “vrai-faux journal”. Celui-ci se rapporte aux années 1956-1960. On y retrouve des éléments autobiographiques comme l’œil crevé dans l’enfance, la sœur et le père morts dans un accident, l’origine suédoise du côté de la mère, la ferme des grands-parents…
Wolf c’est l’histoire d’un jeune homme, Swanson, qui part se ressourcer en pleine forêt dans les Monts Huron. Il a prévu de camper et rester sur place le temps nécessaire pour se changer les idées, faire le point sur ses désillusions, sur la société et trouver donc un réconfort dans la nature. Cette réflexion au cœur de la forêt est l’occasion de réflexions sur la nature et sa beauté à préserver.
Il alterne la partie retour aux sources dans la nature avec des souvenirs de jeunesse. Il décrit alors l’insouciance du jeune dépravé qu’il était (instabilité, vie sexuelle glauque, beuveries, drogue). C’est l’occasion pour Jim Harrison de développer ces thèmes de cette vie de jeune insouciant qui reviennent dans ses romans. On y retrouve donc la drogue, l’alcool, le sexe, le côté dépravé, obsédé, parfois vulgaire. Et en effet, le vocabulaire est parfois très cru.
Mais il y a aussi des références littéraires à de grands auteurs comme Arthur Rimbaud, Villon, Yeats… L’humour est aussi bien présent dans certains passages. Quant au loup (wolf), c’est un symbole, le symbole de la liberté, de la force, de la cruauté.
Wolf est le premier roman de Jim Harrison et une belle introduction à la suite de son œuvre.
Extraits de Wolf – Jim Harrison
(p.82) Qu’adviendrait-il de moi s’il n’y avait pas de forêts au fin fond desquelles se retirer – que ferai-je quand il n’y aura plus de terres loin de tout, solitaires ?
(p.85) Je payai mon billet avec mes derniers dollars en disant au guichetier qu’il devait certainement exister une longue route tortueuse jusqu’au pays de mes rêves.
(p.116) Je souffrais tout d’un coup du mal du minou. Un mal qui surgit sans prévenir dans la mémoire en Technicolor de tout un chacun, au milieu des bois, dans la taïga, l’Arctique, frappant sans distinction pilotes de chasse, sénateurs et peut-être même présidents.
(p.123) Les étudiantes se font souvent avoir avec le coup du sang indien. Mon teint mat et mes traits lapons petit patapon m’ont beaucoup servi. Comment ne me croiraient-elles pas ? Je varie les tribus d’origine, allant des Cheyennes aux Cherokees en passant par les Apaches.
(p.147) Un truc curieux, à propos des femmes plus âgées, je veux dire plus de trente-cinq ans. C’est agréable de se sentir apprécié et de ne pas être obligé de supplier pendant des heures le nez devant la tabatière. Il n’y a là aucune condescendance, ce n’est qu’une simple constatation que j’ai pu faire à l’âge de vingt et un an. Fini les interminables séances de pelotage et les retours où on peut à peine marcher tellement on a mal aux roustons. Les valseuses désespérément enflées.
Retour en terre – Jim Harrison
Le roman est structuré en quatre parties, au travers de Donald, de K., de David et de Cynthia. Donald a 45 ans et souffre d’une maladie grave, une sclérose latérale amyotrophique. Il entreprend alors de dicter son histoire et celle de ses ancêtres à son épouse Cynthia, afin de laisser un souvenir à leurs enfants.
Dans la première partie, Donald, métis Chippewa-Finnois raconte donc la vie de ses ancêtres et la sienne. Des souvenirs et confessions racontées avec simplicité et sincérité, des confessions parfois émouvantes.
Puis K. prend la suite du récit et on comprend que le décès de Donald est imminent. Les deux dernières parties sont racontées par David et Cynthia. On assiste alors aux funérailles dans la montagne, puis à la famille qui doit faire face au départ de Donald.
Ce roman interpelle le lecteur sur des sujets comme la vie et la mort, la fin de vie, la maladie, le suicide et la mort assistée, ainsi que la survie face au deuil. Il évoque aussi le réconfort. Un réconfort qui est très présent dans la nature, dans les grands espaces, les forêts épaisses peuplées de bêtes sauvages. Il met en avant l’ours et son côté mystique, lié à certaines croyances indiennes et à la réincarnation. Le réconfort est aussi présent dans le sexe et la nourriture.
On apprécie à la lecture de ce livre la sagesse de l’auteur, son recul sur la vie, ainsi que des thèmes tels que l’importance de la famille, des ancêtres, des croyances et la communication dans le couple et la famille.
Il y a beaucoup de personnages. Aussi, ne pas hésiter à prendre quelques notes pour repérer la place de chacun dans la famille ou l’entourage proche.
Retour en terre est un récit très touchant et émouvant qui appelle à la réflexion sur de nombreux sujets.
Extraits de Retour en terre – Jim Harrison
(p.304) Bon, Clarence et son épouse Sally étaient très heureux dans leur petite ferme située au sud-ouest de Negaunee. Leur jeune fils, Clarence, qui était mon grand-père, naquit avec du poil au cul – je veux dire par là que c’était un vrai petit sauvage. On raconte qu’il tua son premier chevreuil à l’âge de sept ans, avec une carabine de calibre 22.
(p.307) Sally mourut en 1925 et Clarence réussit à transporter son cercueil jusqu’à Hollow Water, dans le Manitoba, jusqu’à l’endroit où sa famille avait vécu et où elle désirait être enterrée. Clarence ne revint jamais aux États-Unis. On le vit pour la dernière fois en 1933, au début de la Grande Dépression, au nord de Flin Flon, c’est à dire très loin au nord. Il habitait un chalet sur une île située au milieu d’un lac isolé. Un trappeur local déclara à la police que Clarence vivait avec deux ours et l’on supposa qu’après son décès ces ours dévorèrent sa dépouille. Personne ne le sait avec certitude, mais on ne retrouva aucun corps. Clarence avait alors plus de soixante-dix ans et après une existence en dents de scie ce n’était certes pas une mauvaise manière de tirer sa révérence. J’ai mangé du ragoût d’ours quand j’avais une douzaine d’années et j’ai ensuite fait des mauvais rêves. Quand j’ai interrogé mon père à ce sujet, il m’a répondu qu’il ne valait mieux pas que je mange de cette viande à moins de désirer faire des rêves d’ours.
(p.499) J’ai les idées assez claires et je comprends que, malgré toutes les diversions que notre culture nous propose, on ne peut pas échapper à la souffrance consécutive à un décès. Il n’y a pas de palliatif, ou du moins aucun qui soit efficace dans mon cas.
Wolf – Retour en terre – Jim Harrison
Publié par les Éditions 10-18
Voir le livre sur le site de l’éditeur
Traduction de Marie-Hélène Dumas et préface de François Busnel pour Wolf-Mémoires fictifs
Traduction de Brice Mathieussent pour Retour en terre
573 pages – 14,90 euros
Voir aussi Julip et En marge Mémoires de Jim Harrison
Voir sur le blog d’autres suggestions de lecture
Si vous avez lu Wolf ou Retour en terre n’hésitez pas à laisser un commentaire au bas de la page. Merci.
Bonjour, je découvre votre blog, c’est un régal de lire vos critiques littéraires agrémentées de superbes photos, bravo !
Merci beaucoup Pascal !