Sortis des bois est un recueil de nouvelles de l’écrivain américain Chris Offutt. Il vient d’être publié en poche (juin 2021) par les Éditions Gallmeister. Les huit nouvelles qui composent ce recueil ont pour point commun des personnes originaires du Kentucky, ayant quitté leur région natale pour une vie meilleure.
Des portraits de personnes de l’Amérique profonde
Sortis des bois est le titre de la première nouvelle du recueil. On y fait connaissance avec Gérald, qui pour être accepté par sa belle famille, doit aller à Wahoo Nebraska, récupérer son beau-frère à l’hôpital, blessé par balles.
Le portrait de Gérald, comme tous les autres personnages des autres nouvelles, est réaliste, sans pitié, sans mièvrerie. Chris Offutt nous plonge avec ses personnages dans une Amérique profonde, dans des histoires sombres, avec la justesse et la précision des mots, dans la rudesse de la vie.
Il évoque la vie des petites gens, des oubliés, de ceux que l’on nomme parfois les Hillbilies, qui luttent au quotidien pour essayer de survivre ou d’avancer comme ils peuvent.
Ces personnages sont souvent dans la solitude, la précarité, le quotidien des petits boulots, réconfortés par l’alcool, et partagés entre résignation et violence.
Le déracinement et l’attachement au Kentucky
Tous les personnages de Chris Offutt de Sortis des bois ont un point commun, l’origine et le déracinement. Ils sont originaires des collines du Kentucky, des Appalaches et ses montagnes enfumées dans la brume. Tous sont d’origine modeste et face aux difficultés de la vie ont quitté leur Kentucky natal pour essayer d’aller vivre mieux ailleurs. Des êtres perdus, déracinés, qui ont quitté leurs montagnes pour aller chercher du travail, pour fuir la pauvreté ou à cause des aléas de la vie.
L’auteur évoque avec force et précision leur mal-être face à ce déracinement, le mal du pays, et l’impossibilité de quitter cette vie dure des collines du Kentucky, sans éprouver le besoin d’y retourner.
Chris Offutt nous offre une série de portraits de personnes parties tenter une vie meilleure ailleurs. Mais hélas, ces personnes sont soudées à leurs origines, à leurs racines, à leurs collines et à leur communauté. C’est contradictoire et entraîne un mal-être, une souffrance, qui conduit parfois à de la violence, à des drames, qui semblent être une fatalité. Il nous présente ainsi les personnages avec dignité, sans les juger, tels qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts.
Aussi, on apprécie l’écriture simple et belle, la qualité des descriptions, des émotions. Sans oublier bien sûr les décors qui ont une grande importance.
Ce recueil de nouvelles est donc une plongée dans l’univers de ces “petites gens”, ces “oubliés” de l’Amérique profonde, ces “Hillbilies”. Lesquels alternent entre espoir et résignation, face à la dureté de leur quotidien.
Extraits
Voici des extraits qui sont révélateurs de l’ensemble du recueil.
-Dans Chouette rayée, le personnage principal raconte son déracinement (p.83) :
Il y a sept ans, j’ai divorcé et quitté le Kentucky pour l’Ouest. J’ai atteint le Mississippi en une journée, et j’ai été estomaqué par sa taille. J’ai regardé l’eau jusqu’à la tombée du jour. Plus qu’un fleuve, on aurait dit un gigantesque muscle brun. Deux jours plus tard, j’ai coulé une bielle et je me suis installé à Greeley, Colorado. Personne dans ma famille n’a vécu aussi loin de notre colline natale.
Puis, il sympathise avec Tarvis, déraciné lui aussi, originaire de l’Est du Kentucky (p.85) :
Quand on n’entend pas un accent, on le perd, et le simple fait d’être avec lui m’a fait parler comme au pays.
-Tu rentres souvent ?
-Mariages et enterrements.
-Moi j’ai réduit ça aux enterrements.
-Le seul endroit où je me sens encore chez moi, c’est le cimetière.
-Dans De l’eau dans tous les sens (p.73) on a un dialogue entre Zules le routier et une femme rencontrée dans un bar en Oregon. Un dialogue là aussi révélateur de l’ensembles des nouvelles :
-C’est où chez vous ?
-Kentucky.
-Quelle partie ?
-Celle que les gens quittent.
-Sans oublier la très belle citation au début du livre :
“L’endroit d’où vous venez n’existe plus, celui où vous pensiez aller un jour n’a jamais existé, et celui où vous êtes ne vaut quelque chose que si vous pouvez en partir”.
Flannery O’Connor – La sagesse dans le sang
Sortis des bois CHRIS OFFUTT
Si vous avez lu Sortis des bois de Chris Offutt ou un de ses romans, n’hésitez pas à donner votre avis au bas de la page. Merci.
Recueil de nouvelles – 144 pages / 8,60 euros
Traduction de Anatole Pons-Reumaux
Publié par les Éditions Gallmeister.
Totem N°188
Voir le livre sur le site de l’éditeur.
Voir sur le blog d’autres idées de lecture dans la rubrique books/livres.
Un grand merci aux Éditions Gallmeister pour cette lecture qui m’a permis de tomber sous le charme de Chris Offutt et de son écriture. Une belle invitation à découvrir le reste de son œuvre ! Je vais d’ailleurs poursuivre avec Nuits Appalaches.